Par Rikuhel, il y a longtemps.

Personne ne se doutait qu'un vieil ivrogne comme Isael'U eût quelque chose d'extraordinaire dans sa vie, exception faite bien sûr de son nom quelque peu étrange et de son goùt immodéré pour l'alcool.

Une fois de plus, Isael -ses connaissances oublient volontiers le "u" par pure faignéantise- se fit jeter hors de la taverne, totalement ivre. Une fois de plus, le patron le prévient de ne plus le faire entrer si cela continue. Hélas, Isael a souvent la bourse pleine en arrivant, et ce cher patron peu scrupuleux aime ce qui brille...Ainsi donc, dehors, saoûl comme jamais, dans une nuit fraiche de début d'hiver éclairée par la pleine lune, où il y a quelque mois à peine il faisait encore jour à ces heures, Isael n'avait qu'une seule solution. Non...Plusieurs, plutôt. Il y réfléchit. Rentrer chez lui? Errer dans les rues, sous peine de se faire arrêter par la milice? Ou trouver une autre taverne où s'habriter?

Le choix fut tout décidé dès la pensée effleurée. Titubant, il se promena dans les rues de la ville, mais préféré s'approcher du port, car il était fort connu que le meilleur appât à clients -entendez par là, marins rentrant du travail- fût là. Il arriva au bout de la rue, délaissant les petites tavernes ténébreuses car mal fréquentées. Lui aimait les lieux éclairés, bruyants, où il y fait bon vivre.

Et il trouva l'endroit idéal. Cet endroit portait un nom bien singulier, "Au poney qui tousse". De là il put entendre aux fenêtres des gens rirent de bonne joie, de la musique, et des lampes, partout...Ainsi, l'ambiance convenait à Isael. Mais pas question d'entrer rouge comme une tomate et titubant ainsi. Il prit le chemin de la mer, afin d'y sentir pleinement le bon air frais, de se calmer au son des vagues, afin de revenir un brin moins touché par les boissons fortes ingurgitées.
Il contourna les maisons et s'approcha toujours plus de la plage. En chemin, il s'efforça de marcher droit. Comme ça, il pourrait déja revenir à peine arrivé.
Il arriva sur la plage, à côté d'un pont de bois reliant les quais. Il s'arrêta à mi-chemin vers la mer, et s'assit un moment. L'air venant de l'océan lui frappait le visage légèrement, caressant, de quoi l'apaiser. Cet air portait l'odeur du sel, cette odeur qu'il adorait. Qu'il connaissait si bien, depuis sa naissance, qui en est d'ailleurs son seul souvenir.

Et voila! Rageur, il se leva et frappa une butte de sable des quelques forces qui lui restaient. Il y repensait. Il n'aimait point cela, car dès qu'il réfléchissait, essayait de se rappeller de quelque chose, il ne pouvait qu'être déçu de son incapacité à se souvenir. Etait-il malade? Car seule sa veillesse reste intacte dans son esprit. Sa croissance, ses vingts ans...Tout ça, Isael avait oublié depuis longtemps. Tout ce qu'il connaissait, c'était cette même odeur de sel dans l'air, et qu'il était sûr de ne pas être originaire de cette ville. D'où venait-il alors? Et voila! Il ne peut déja plus s'empêcher d'y réfléchir!

Mais soudain, il se figea. Il était sûr d'avoir perçu quelque chose. Oui, enfin non, pas tout à fait. Pas quelque chose, mais quelques choses. Deux, enfin non, Trois. Isael s'énervait une fois de plus de son ébriété qui l'empêchait de voir clairement et de penser correctement. Mais, pour sûr, il avait vu quelques choses bouger. Là bas, là où la mer s'approche de la terre. Il décida de s'approcher. Et puis, un peu de marche ne lui fera que du bien.

En s'approchant, il vit encore un remous étrange dans l'eau, contraire ou différent des vagues. Cette fois-ci, il était clair et logique qu'il y avait quelque chose. Peut-être un poisson échoué. Il pourrait en tirer quelque chose qui sait...Peut-être un morceau d'épave, auquel cas il n'en tirerait pas du tout profit excepté s'il soit en or...Non, une seconde, pas un, mais trois! Ah! Cette ivresse qui lui joue des tours, encore et encore! Promis, Isael fera attention à la boisson la prochaine fois.
Et il s'arrêta, net. Il était assez près -et les dieux savent à quel point sans la boisson la distance aurait été toute autre- pour voir les formes. Il voyait distinctement les remous, déja plus remarquables que tout à l'heure. Quelque chose s'approchait?
Soudain, trois formes sortirent de l'eau. Trois formes humaines, silencieusement, sans s'arrêter, d'un pas sûr mais légèrement claudiquant, s'approchant d'Isael. L'effet fut saisissant pour Isael, soudain paralysé par cette vision.

"-Des Etres de l'Eau!" annonça-t-il, n'y croyant pas ses yeux.

Les trois formes s'arrêtèrent, remarquant enfin le vieil homme. Pour Isael, les visages étaient flous, bien que près. Une des personnes, celle du centre, était plus petite que les deux autres, ça il en était sûr. Sans doute deux hommes et une femme, à en juger par les carures.
Les formes enlevèrent des sortes de longues capes car humides et freinant leurs mouvements sur terre ferme, puis se regardèrent ensemble. Isael reprit, mais hésitant cette fois-ci.

"-Vous êtes bien des Etres de l'Eau, n'est-ce pas?"

La forme de gauche s'approcha soudain vers Isael, si vite que les réflexes endormis de l'ivrogne ne suivirent pas, et fut pris au dépourvu, ne remarquant qu'à la dernière seconde l'approche de cet être. Pour la première fois, il commença à prendre peur...Et si ces êtres lui voulait du mal, malgré les légendes à leur sujet? Mais qu'importe, car ce n'était pas des êtres de l'eau, à en juger par le visage de l'homme.
Grand, avec un teint assez pale mais l'air jeune, aux longs cheveux d'argent. Il s'approcha du visage d'Isael et lui parla.

"-Nous ne sommes pas des êtres de l'Eau, vieil homme. Est-ce bien ici la ville de Trigorn?"

Isael recula de quelques pas devant l'air sévère du jeune garçon. Cette fois-ci, il avait véritablement peur. Rien dans les paroles du garçon n'était d'une quelconque dureté ou violence, mais dans sa tenue, son regard. Un regard grave, sans émotions, tenu par un corps droit, fier.

"-Eh bien, qu'as-tu?" continua le garçon. "N'aie pas peur. Je te posai juste une question."

En reculant Isael trébucha par terre, et essaya encore de ramper vers l'arrière, devant ce garçon qui approchait au fur et à mesure qu'il l'évitait.

"-Je...Je suis... Isael-U, un doyen de Trigorn! Et... j'ai de bons contacts dans la ville! Pr...Prenez garde ou vous serez pourchassés!"

Le jeune garçon commença à rire, moqueur.

"-Isael-U, comme dans le conte pour enfants? Hahaha, à en juger par ce nom, Isael-U, tu n'as rien d'un habitant de ces terres."

"-Comment...Oses-tu me contredire? Vils personnages!"

Isael-U se releva d'un coup vif, oubliant l'alcool ingurgité, et courut en vitesse vers le batiment le plus proche, pourtant bien loin...Le jeune homme aux cheveux d'argent dégaina une lame aussi vite que l'éclair et pourchassa le vieux. En pleine forme malgré un voyage étrange, il attaqua Isael, le coupant. La lame finement aiguisée, il coupa les jambes au niveau des bas, faisant tomber le tronc du vieil homme dans un long cri de douleur.

"-Eh bien, vieil homme. En voila une façon de crier. Merci pour la discrétion, mon ami des contes pour enfants."

Les deux autres formes approchèrent du corps meurtri et invalide, mais laissa faire le jeune garçon. Ils remarquèrent que déja des personnes de la ville, inquiets, se demandaient d'où venait le cri. La forme aux cheveux argentés se baissa vers Isael.

"-Ainsi donc, Isael-U, tu mourras comme dans l'histoire."

Il prit d'un main le col de la chemise d'Isael, portant le corps sans jambes, et le traina jusqu'aux vagues.

"-La marée monte...Dans l'histoire, il est dis qu'Isael-U fut jeté dans l'océan, plongeant dans le fond, rejeté de tous. Voila ton sort, habitant de l'île."

Il s'engouffra dans les vagues jusqu'au niveau de la taille, et jeta le corps le plus loin possible qu'il put, assez loin pour le noyer.
Il revint, en prenant soin de se cacher des citadins partis voir de plus près la plage. Il retrouva ses deux compagnons. L'autre homme dit.

"-Riku'Hel, tu resteras à Trigorn."

"-Entendu."
Le jeune garçon se tourna vers la femme.

"-Et toi?"

"-Moi je le suis."

"-Très bien. Trouvons #HM1-01."